Après le débarquement
PLUMETOT
Souvenirs de ses habitants et de ses libérateurs.
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8 juillet- Clémentine Picard, appelée aussi “Georgette”, se trouve au café du Pont-Créon avec des réfugiés quand les bombardements de la bataille de Caen (commencés le 6) redoublent d’intensité. Elle s’abrite dans l’embrasure d’une porte, pensant être à l’abri, quand tout s’écroule sur elle. Elle reste enfouie 7 à 8 heures sous les décombres, le temps pour ceux qui veulent la dégager et la sauver de gratter à mains nues les gravats.
Presque étouffée, la jambe broyée, affolée, elle appelle son père, décédé en 42. Au fur et à mesure du dégagement, la poussière vole et l’étouffe plus encore, si bien qu’il faut verser sans cesse de l’eau dans le trou pour plaquer la poussière au sol jusqu’à son dégagement complet. Elle est transportée en urgence au Bon Sauveur sur un brancard, à pied, par des réfugiés. En arrivant devant la porte, un nouveau bombardement affole les brancardiers d’occasion qui la laissent choir pour aller s’abriter. Elle se retrouve par terre, le brancard sur la tête.
(Clémentine) Georgette est amputée quand un obus tombe derrière le mur au niveau de sa tête pendant son opération. Tout vole en éclats. Des centaines de blessés affluent et, comme eux, elle est couchée à même le sol sur des matelas alignés les uns contre les autres dans toutes les pièces disponibles, cantine, couloirs etc… Ils restent ainsi 7 jours sans pratiquement rien manger, attendant la mort. Le docteur Mauger, qui l’a opérée, sera tué peu de temps après, au cours d’une autre opération, par un autre bombardement !
C’est l’ambulance du Dr. Lévêque, dentiste à Douvres-la-Délivrande, qui la conduit à travers les trous de bombes avec 3 autres blessés à la Sainte Famille. L’un d’entre eux est déjà mort à l’arrivée. Clémentine reste à la Ste. Famille 2 nuits puis va chez son frère, et ensuite chez une cousine, toujours à Douvres.
Souvenirs de Mme Jourdan .
Du 9 juin au 8 août – Le colonel Ian Hammerton et les 22èmes Dragons s’installent à Cresserons.
Du 8 juillet au 15 août 44- “On me demande comme volontaire, avec deux camarades, pour une mission dans le secteur d’Aunay-sur-Odon avec l’ambulance du Bon Sauveur afin d’évacuer des blessés et des vieillards se trouvant près de Villers-Bocage, entre les lignes de combats. Vu l’heure tardive de notre arrivée, le maire de Bonnemaison nous conseille de passer la nuit sur place. Le lendemain, informés que Caen avait été libéré dans la nuit, il devenait impossible de rentrer; nous confions nos vieillards au château des Clermont-Tonnerre, transformé en hôpital et rejoignons l’antenne médicale du Bon Sauveur à Vire.”
Souvenir d’Henry Mengin.
De juillet à décembre 44, Ron Pamphlet fait des va-et-vient permanents avec sa moto, en tant qu’estafette, sous les ordres du Major Keast et du Captain Smuht(?) basés au “château”, Bout Basset. (manoir actuel des Gruau)
Souvenir de Ron Pamphlet, rencontré dans la rue en 2002:voir la photo.
En juin et juillet 44 – Le Major E.R. Hargreaves et ses hommes, de la 26ème section d’hygiène du corps médical de l’armée britannique, sont installés au “château”. Le Major devient le généraliste local pour les villageois. Ronald Ritson était son ordonnance.
Récit de Joseph Ritson, petit-neveu de Ronald Ritson.
Le 19 juin – Un terrible orage inonde le B 10 et le rend momentanément inutilisable, alors que les pilotes des Typhoons (dont Paul Ezanno et Denis Switting font partie) attendent avec impatience de l’utiliser. Chaque fois que la piste était inondée, les pilotes devaient partir du B 5, mais revenaient tous les soirs à Plumetot car leur campement y était installé, tout autour de la piste. Ce n’est que vers les 24- 25 juin que le B 10 fut assez sec pour être enfin opérationnel.
Récit de Reg et de Denis Switting, pilote, ami de Reg.
Le mauvais temps nous a cloués au sol l’après-midi en retournant au B 10 par la route, nous faisant renoncer à voler. Avec lassitude, nous nous sommes allongés sur nos lits tant que la pluie battante tombait sur nos toiles de tentes. Tout le temps de cette pluie monotone, des petites fuites apparaissaient, et la pluie tombait sur nous et nos équipements.
Quand elle s’arrêta, nous regardâmes dehors pour voir le soleil essayant de percer les nuages. Je suggérai d’aller marcher. Norman m’accompagna avec un peu de réticence et pour la 1ère fois depuis notre arrivée en France 4 jours auparavant, nous pûmes sortir pour explorer le coin. Traversant les arbres et la haie du champ près de la route, nous marchâmes prudemment vers Plumetot, guettant la moindre trace de mines.
Le village était désert, à part l’habituel vieux monsieur assis sur le seuil de sa maison. “Bonjour, Monsieur !” dis-je audacieusement, essayant pour la 1ère fois mon français d’écolier. Il releva la tête, me regardant sans expression, et me répondit laconiquement:” Bonjour”. Dans nos uniformes bleus il pensait très probablement que nous étions Allemands et qu’il était surprenant qu’un ” boche” revienne.
Nous avons continué à travers le village. Plusieurs maisons étaient sévèrement endommagées et criblées de balles.
Il y avait un très petit trafic armé sur ces routes depuis qu’elles étaient devenues un axe de repli militaire vers la mer. Nous avons marché à peu près 2 km. le long d’un chemin allant à Lion-sur-Mer. Tout au long des plages, de Luc à Riva-Bella, la dévastation était immense.
Norman déclara que c’était pire qu’à Dunkerque et nous sommes revenus au B 10, discutant plus qu’à l’ordinaire, heureux de ne pas avoir pris part à la destruction de ce qui avait été, avant la guerre, un lieu de vacances populaires.”
Ecrit de Denis Switting.
Le 20 juin 44 – “Nous nous sommes déplacés de Plumetot vers la ferme Delacour, près de l’église de Périers. Nous avons installé notre station médicale avancée dans les bâtiments de la ferme.”
Récit du révérend Jim Wisewell, personnel médical pendant le débarquement. Ouest-France du 6 juin 2006.
Début juillet – “Un obus de la batterie allemande de Merville tombe sur l’épicerie de Plumetot, tuant les propriétaires, Pierre et Andrée Requis, et leur fillette Eliane, 9 ans, ainsi que la jeune Yolande Fossey, de Cresserons, qui meurt étouffée sous les décombres. Une bombe incendiaire était entrée dans la pièce, au rez-de-chaussée, où la famille dormait. Les seuls survivants furent la grand-mère de 90 ans et le chien de berger.” Quelques semaines plus tard, la grand-mère est morte et le Major Hargreaves a acheté le chien pour son collègue, le Major Dixon.
Lettre du Major Hargreaves à sa femme datée du 7 juillet 44. Récit de Joseph Ritson.
Renée Marie se souvient parfaitement des friandises distribuées par les Anglais et les Canadiens installés à 2 endroits différents de Plumetot: chacun affirmait que son thé était bien meilleur que celui des autres.
Souvenir de Mme Bandrac.
9 juillet 44- Et la nuit qui précède, ainsi que la suivante, c’est un vacarme assourdissant. Il est impossible de se parler et de se comprendre, même dans les maisons, si ce n’est par le “bouche à oreille”. Ce jour de la libération de Caen, Jean voit 600 avions passer dans le ciel de Plumetot.
Récit de Jean D.
En fait, le plus gros bombardement préparatoire à l’entrée des troupes dans Caen le 9 juillet eut lieu le 7 au soir et dura presque 1 heure, à partir de 21 heures; il fut l’œuvre de plus de 300 bombardiers (Halifax et Lancaster) accompagnés de chasseurs.
Précisions d’André Heinz.
Marius Hamelin accueille régulièrement dans sa ferme, pour un petit remontant (poiré, calvados), les pilotes de la R.A.F., bien fatigués. Malheureusement, souvent le soir, certains d’entre eux ne répondent plus à l’appel.
Souvenir de Georges Hamelin.
Georges Watelet, pilote belge de la R.A.F., s’en souvient fort bien et précise qu’ils échangeaient leurs rations de guerre contre de la crème fraîche et du camembert.
11, 12 juillet– Après bien des aléas, Henry et le conducteur de l’ambulance se retrouvent à Alençon où, sur demande du préfet, ils camouflent leur véhicule, à Damigny (quartier d’Alençon), chez le fromager “Cabaret-Sevrain”, quand, vers 3h30 du matin, 2 tractions noires de la milice et un officier de la Gestapo font irruption. Ordre leur est donné de sortir l’ambulance et, escortés des 2 tractions de la milice, d’aller jusqu’à la prison d’Alençon charger 6 résistants, dont une jeune fille, Monique L.L.. Une première pause est faite au château de Brotz près de Mortagne. La jeune fille est ligotée dans le grenier pendant que les autres prisonniers sont exécutés. L’ambulance, toujours sous la menace des miliciens, cette fois accompagnés de leur famille, doit repartir pour Paris. Arrivés vers 7h du soir, tout le monde descend, Henry et le chauffeur reçoivent l’ordre d’aller garer l’ambulance dans un garage du 10ème arrondissement et de se tenir prêts pour 6h le lendemain matin. Mais, vers 3h les 2 amis s’enfuient avec le véhicule par des petites routes vers Alençon. Ils apprendront par la suite que la jeune fille, restée à Brotz, fut conduite à Ravensbruck, puis libérée plus tard par les Russes. Henry la revit dans les années 2000. Devenue Mme C. de F., la cravate de Commandeur de la Légion d’Honneur lui fut remise en 2010.
Récit d’Henry Mengin.
Juillet-août 44- “Nous faisions des navettes permanentes entre Villers, Thury, Mortain, la Ferté-Macé et Sées. C’est la période où les combats, à Vimoutiers et Trun, faisaient rage et nous fûmes plusieurs fois pris parmi les convois de chars allemands. Puis l’ambulance fut mise à la disposition du Préfet, à Alençon.
Début août les Allemands nous font évacuer l’hôpital, vers le Sud –”
Récit d’ Henry Mengin.
Le 16 août 44 – Denis Sweeting, à bord de son Typhoon, quitte le B 10 pour Trun et réussit à détruire 3 tanks, 4 A.F.V. et 2 M.E.T. Le 19, la poche de Falaise est enfin libérée.
Carnet de bord de Denis Sweeting.
(AFV = véhicule blindé de combat. MET = transport ennemi mécanisé.)
Il y avait des possibilités de détente juste derrière la ligne de front. Un groupe d’artistes venait à Luc- sur-Mer et des séances de cinéma étaient offertes dans une petite salle de classe à Plumetot. L’unité de bain mobile était aussi basée à Plumetot. Des chemises et des pantalons flambant-neufs et des serviettes étaient distribués en échange du linge sale et le “Middlesex Battalion HQ” avait créé une baignoire très spéciale dans la cour de ferme des techniciens.
Sources anglaises.
Fin août- Après les bombardements de Plumetot, Clémentine revient chez sa mère et sa grand-mère, Mme Biron, 19 Bout Basset (actuelle maison de Mme. Lefèvre), sur la moto d’un prêtre canadien, le père Leblanc, qui l’avait prise aux Allemands. Il avait été sollicité pour soutenir Mme. Biron, bouleversée de découvrir l’état de sa petite-fille.
Pendant des années, sans succès, Clémentine et René Jourdan ont essayé de retrouver la trace du père Leblanc, jusqu’au Canada. Clémentine bénéficia ensuite des béquilles du cordonnier de Plumetot, M. Claisse, amputé lui-même à la guerre de 14, et elle fit plusieurs fois Plumetot-Douvres à pied avec ses béquilles.
Souvenirs de Clémentine Jourdan.
Août 46- Les Mengin reviennent chez eux à Plumetot. La plus grande partie du mobilier a disparu, brûlé ou emporté. Le grenier est rempli de paille qui a servi pour coucher la troupe. Le feu étant un trop grand risque, le grenier est vidé par les jeunes cousins d’Henry et le jardinier Gaston Vincent qui retrouvent des balles sous la paille, ainsi que quelques objets cachés par les soldats.
Henry Mengin.
Jean Demonchy a quitté les siens le 19 mai 2007.
René Jourdan a quitté les siens le 31 mars 2008. Il fut secrétaire départemental des anciens du STO, victimes ou rescapés des camps nazis.
George Reginald (Reg) Elsey est décédé le 27 décembre 2007.
Madame Jourdan fut, jusqu’à 90 ans, présidente des amputés de guerre civils du Calvados.
D’autres souvenirs s’ajouteront à ceux-ci, mais je veux déjà remercier tous ceux qui ont répondu si simplement à ma demande et qui m’ont permis, par leurs récits, de réaliser ce début de recueil pour la “mémoire” de Plumetot.
Je remercie tout particulièrement Reg Elsey qui a consacré une année entière à rassembler ses souvenirs et à les transcrire pour nous avant sa mort en 2007.
Ainsi que Jim Hackett, le Dr. Bénamou et mon mari, qui en ont assuré la traduction et les corrections.
Plumetot, janvier 2016, Françoise Hallot.